samedi 21 septembre 2013

Une infirmière de famille pour tous


Une infirmière de famille pour tous



Renée Laberge, médecin de famille, CLSC Basse-Ville-Limoilou


Fufu, 2013

 État de la situation

Chacun, nous rêvons à la possibilité d'un médecin de famille pour tous.

Que ce soit le patient ne sachant vers qui se tourner lorsque les problèmes de santé se pointent au bout de son nez bien enchifrené.  Que ce soit celui qui se voit refuser l'accès à son sans rendez-vous du coin parce qu'il n'est pas inscrit sur la nébuleuse liste des privilégiés.  Que ce soit celui qui a été vu mais très rapidement laissé sans suivi après une consultation à l'urgence ou à n'importe quel sans rendez-vous du Québec et même parfois après une hospitalisation.  Que ce soit le patient nouvellement orphelin, laissé sans suivi par le médecin retraité qui n'a pas de relève.   Que ce soit celui qui a un véritable médecin de famille, en chair et en os, mais qui n'y a pas accès, ne pouvant pas le voir avant de longs mois et-ou ne pouvant lui parler ou lui laisser de messages téléphoniques.  Ou encore celui qui, lors du bref rendez-vous tant espéré, peut à peine placer un mot, être entendu, rassuré, son médecin allant à l'essentiel, débordé par mille et une choses à faire et mille et une personnes à voir.
Que ce soit encore l'infirmière, qui travaille jour après jour à aider ses patients et à leur offrir le meilleur service, sans ressource immédiate pour les référer et avec un pouvoir professionnel limité.  Que ce soit le médecin de famille lui-même, souvent dépassé par la tâche et par la quantité de patients qui n'ont pas de médecins, ne pouvant plus assumer seul la lourdeur des cas et des problèmes de santé.  Que ce soit le spécialiste, qui une fois son travail fait, doit parfois assurer un suivi dont il ne devrait pourtant pas faire les frais.
Que ce soit le gouvernement, enfin, qui cherche à améliorer son système de santé pour le rendre plus performant et mieux adapté aux demandes des malades, tous, tous nous rêvons à cette possibilité.  À cette quête.  À cet idéal.

Un médecin de famille pour TOUS!!!!

Dans les dernières années, le problème a été maintes et maintes fois souligné dans l'actualité québécoise.   Pourtant, la liste des patients orphelins s'en va grandissante et la pression augmente sur le système de santé avec le départ à la retraite d'une frange importante des médecins baby-boomers, le vieillissement de la population et l'augmentation significative des maladies chroniques.
Invariablement, les efforts logistiques se sont tournés vers l'organisation d'un système où chacun pourra avoir accès à un médecin de famille.  Dans la foulée, nous avons créé les GMF (groupes de médecine familiale) où une équipe complète de médecins épaulés par des infirmières dans l'aide au triage et aux suivis médicaux, assume davantage de clientèle et d'heures d'ouverture du sans rendez-vous.  De plus, la venue d'infirmières cliniciennes, ou IPS (infirmières praticiennes spécialisées) formées depuis quelques années dans nos universités et ayant des pouvoirs cliniques élargis (soit ordonnance d'examens sanguins ou radiologiques et prescription et represcription de certains médicaments) nous avait donné l'espoir d'une amélioration dans l'accès aux soins.
Pourtant, le système médical québécois, malgré ses forces et la bonne volonté de la plupart de ses intervenants, n'offre toujours pas ce que nous espérons.  Qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans ce système? Et pourquoi?

Et si nous ne nous posions pas la bonne question?

Sommes-nous vraiment une société à ce point médicalisée que chaque citoyen doit absolument avoir son propre médecin attitré?  Et avoir accès à un médecin dès la première ligne?

Avons-nous besoin d'un tel luxe?

Est-ce qu'aujourd'hui le patient consulte toujours le professionnel qui va répondre le mieux à ses besoins, et au moindre coût?

Est-ce que le meilleur accès à la première ligne et a certains suivis médicaux doit nécessairement être assuré par un médecin?
 

Proposition

Je suis moi-même un médecin de famille oeuvrant depuis près de 20 ans en première ligne, et ce en milieu défavorisé.  J'assiste assez impuissante à cette réalité et j'ai trop souvent le coeur heurté quand je rencontre ces patients orphelins, généralement très vulnérables, mal pris, malades, à qui je ne sais pas quoi répondre quand il s'agit de prise en charge de leur problème de santé et avec qui je n'arrive pas à organiser des soins et des services vraiment adéquats, diligents, humains et efficaces.

Devant cet état de fait, j'ai été interpellée récemment par un article de Michel Dongois, paru dans l'Actualité médicale du mois d'août 2013, concernant une étude du CERIUM2 sur le modèle scandinave.  Il nous renseigne sur quelques éléments qui semblent  au centre d'un meilleur accès à la première ligne en Suède et qui tournent autour de la formule «0-7».

«0» pour zéro attente en ce qui concerne le premier contact avec le système de santé puisque le patient rencontre une infirmière dès le premier jour.

«7» pour sept jours maximum avant de rencontrer, si nécessaire, un médecin généraliste.

Les infirmières y assument donc l'essentiel du service de toute première ligne et elles sont donc devenues ces spécialistes de la santé, habiletés à le faire.

Si sur le plan médical, donner plus de pouvoir aux infirmières est possible en Suède et que cela semble clairement faire partie de la solution, pourquoi cela ne serait-il pas possible ici?  Serait-ce parce que nos infirmières sont moins bonnes ou moins bien formées?  Évidemment non!  Au contraire, elles sont parmi les mieux formées au monde! Une fois le patient évalué par l'infirmière et traité dans la mesure des pouvoirs et des compétences accordées à celle-ci, ce patient pourra être référé soit immédiatement à l'urgence, soit à un médecin de famille dans les sept jours.  Sans oublier la possibilité pour ces mêmes infirmières de devenir l'intervenant-pivot dans le suivi médical du patient.


Je pense, par ailleurs, qu'il est utile de citer ici cet extrait de l'article évoqué plus haut: «quant aux médecins suédois, ils sont plus nombreux, nettement moins payés qu’ici au Québec (le paiement à l’acte a changé pour la capitation), avec de bonnes conditions de travail. Pas de piédestal pour eux, note la Dre Raynault.  Les Scandinaves valorisent la science plus que le statut social». Plus clair que ça, tu meurs...

Conclusion

Et si nous n'avions pas vraiment besoin d'un médecin de famille pour tous?

Nous avons définitivement besoin d'une première ligne plus robuste, avec plus de ressources et plus de gens qui s'y consacrent. On pourra rétorquer que nous n'avons pas l'argent pour payer cette augmentation du nombre d'infirmières.  Disons seulement à ce propos qu'une meilleure distribution de l'enveloppe budgétaire globale de la santé pourrait être envisagée, ce qui signifiera évidemment un effort de chacun...

Nous pourrions mettre enfin les infirmières (IPS, infirmières certifiées ou infirmières auxiliaires) au coeur de la première ligne de nos soins de santé et au coeur des interventions de plusieurs suivis médicaux, positionnant davantage les médecins omnipraticiens dans un rôle de consultant plus spécialisé, intégrés à une équipe.  Les infirmières sont des professionnelles de haut niveau,  ayant des connaissances et une formation pertinente pour ce genre d'intervention.  Elles le montrent déjà.
À nous, les médecins, de leur laisser enfin leur véritable place, d'apprendre à déléguer adéquatement et à accepter de partager les pouvoirs médicaux.  À nous, Québécois, d'avoir l'originalité de créer un modèle de santé différent, efficace et  plus adapté à nos réels besoins et à nos véritables ressources.

Alors, à quand cette INFIRMIÈRE DE FAMILLE  pour TOUS?



















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